Les motifs qui apparaissent dans ces rassemblements semblent remarquablement constants : mobilisations via Internet qui se déversent dans l’espace public, lui-même irrigué par les réseaux sans fil et les smartphones qui réinjectent aussitôt le vécu et l’« action de la rue » dans les réseaux. Les photos de rassemblements sont retransmises immédiatement pour appeler à rejoindre la manifestation, les images de presse appropriées et détournées pour rediffusion virale sur les réseaux…
Dans son essai « Affect Space, Witnessing the movement(s) of the Squares » (2015), le théoricien des médias, Eric Kluitenberg suggère que ces rassemblements de protestations procèdent d’un « nouvel ordre spatial techno-sensuel » qu’il appelle « Affect Space », constitué par l’entrelacement des technologies, des mobilisations poussées par l’affect et de l’espace public. « Le processus de la mobilisation affective à travers les canaux de communication en ligne a chargé les corps des spectateurs d’une intensité pour laquelle les environnements en ligne, désincarnés et basés sur des écrans, n’offraient pas de possibilité d’expression. Cette discrépance entre le corps chargé affectivement et l’environnement numérique anémique fut un facteur crucial pour pousser des milliers de citoyens au-delà des écrans, pour chercher à se connecter dans les rues et les places, les transformant de spectateurs désintéressés en participants actifs » écrit Kluitenberg.